Avec un tréma sur son Y, MŸA est déjà immédiatement remarquable. Mais sa singularité serait bien peu de chose si elle se limitait à cette fantaisie graphique. La singularité de MŸA, c’est avant tout la musique imaginée et jouée par les 3 membres qui le, ou la, constituent, car comme pour les anges, un certain flou (forcément artistique) nimbe son genre, sinon sa nature, et bien que son créateur, le tout-puissant Robinson Khoury, confie que MŸA serait un avatar de notre mère Terre, qu’il en a eu l’idée, pour ne pas dire la vision, en découvrant la pensée et les prises de position de scientifiques, astrophysiciens surtout, tels qu’Aurélien Barraud, un halo de mystère plane au-dessus d’iel (oui, soyons inclusif de temps à autre). Corps céleste mythologique, avatar de Gaïa ou magicienne maîtresse des rythmes et des sons, MŸA, sur scène comme sur l’album attendu pour ce printemps, c’est Léo Jasef aux claviers, Anissa Nehari aux percussions, et Robinson Khoury au trombone évidemment, ainsi qu’à quelques autres instruments à vent à quoi il faut ajouter le synthétiseur modulaire, grâce auquel Robinson Khoury parvient à transformer les sonorités électroniques en envoutante matière organique. Enfin, pour les trois, cet instrument magique dont nous disposons tous et toutes a priori: la voix. Car si MŸA est un passionnant trio de brillants instrumentistes, c’est aussi un étonnant trio vocal. Ce n’est plus un secret depuis le succès du groupe SARAB, dont il est un indispensable pilier, ainsi que depuis la sortie de son album en quintet « Broken Lines », Robinson Khoury fait chanter son trombone et celles et ceux qui l’entourent. Il était donc tout naturel qu’avec ce nouveau projet, lui-même s’essaie à faire entendre sa voix, seul, en choeur avec Leo Jasef et Anissa Nehari, ou encore avec les chanteuses Lynn Adib et Natacha Atlas invitées respectivement les morceaux QĀNĀ et ARAZU. Dans sa recherche de formes libres et simples, esquissant les contours nécessaires à l’improvisation, MŸA, avatar électro-acoustique de la musique des sphères, est aussi une expérience philosophique humaniste, celle de l’exploration des formes et de l’espace, l’expression d’une volonté d’abolir les frontières culturelles, à défaut de celles imposées par la géopolitique. MŸA est une aventure musicale multiculturelle, invoquant les plus anciennes traditions, celles du Moyen-Orient des ancêtres de Robinson Khoury, tout autant que l’inspiration savante et sacrée d’un Jean-Sébastien Bach. Paraphrasant le magnifique poème soufi « La Conférence des Oiseaux », osons affirmer que la musique de MŸA invite à écouter une passionnante conférence des voix, des rythmes et des sons, d’émouvantes mélopées immédiatement suivies de fracassants orages de cuivre et de peau, de cordes caressées puis tordues et frappées dans les effets des claviers. Si l’intelligence peut désormais être absolument artificielle, celle de MŸA est intensément, organiquement, humaine. Parfois tribale, voire primitive, sa musique n’en est pas moins terriblement de notre temps. « Quelque chose bouge, mais on ne l’entend pas », dit Robinson Khoury sur l’un des thèmes de l’album. Etre à l’écoute du chant des plus infimes briques de l’univers comme de la voix de la moindre des cellules du vivant pour en faire partager au public l’éblouissante beauté, c’est aussi cela, MŸA. Et beaucoup d’autres choses encore.
