Goethe a édifié une œuvre au croisement de la poésie, du théâtre, de la théorie et de l’autobiographie. Cette allègre sélection de lettres nous permet de suivre le parcours de cette extraordinaire personnalité, révélant ses choix audacieux et ses élans infatigables au fil des âges. Le grand poète allemand vécut mille vies en une seule, exemplaire.
Johann Wolfgang Goethe (1749-1832) était un homme d’exception, passionné par la littérature, les arts et la science. La correspondance de l’auteur de Faust et d’un des plus célèbres romans épistolaires, Les Souffrances du jeune Werther, éclaire un parcours inimitable à la recherche de soi-même, entre fièvres amoureuses et engagements politiques, voyages en Italie et affinités électives.
En mai 1772, alors qu’il a vingt-deux ans, Goethe est nommé avocat de la chambre impériale du Saint- Empire romain germanique, qui se trouve à Wetzlar. C’est là qu’il rencontre lors d’un bal dansant, le 9 juin, Charlotte Buff, dix-neuf ans, dite «Lotte», fiancée avec le fonctionnaire Johann Christian Kestner. Épris de la jeune fille, le poète passe un été idyllique; de quelque façon, il est même accepté par le couple, qui en vient à vouloir le consoler de son amour malheureux en lui offrant des gages et des souvenirs, comme par exemple une silhouette de Lotte ou les rubans roses que la demoiselle portait le jour de leur première rencontre. Mais ce fragile équilibre ne dure guère, et à l’automne, Goethe doit regagner sa Francfort natale. La corres- pondance qui s’ensuit est dardée d’élans lyriques, de tendres ingénuités et de jalousies absurdes : l’écrivain va jusqu’à s’offusquer du fait que la jeune fille ne rêve pas suffisamment de lui ! Au printemps 1773, durant les semaines qui précèdent et suivent le mariage de Charlotte et Johann – auxquels Goethe tient à tout prix à offrir les alliances –, leur échange épistolaire atteint son paroxysme. Comme on sait, cette histoire – ainsi que le suicide de Karl Wilhelm Jérusalem, l’avocat et collègue de Goethe – lui inspirera peu après le roman Les Souffrances du jeune Werther
, rédigé en un peu moins d’un mois et publié en septembre 1774.
Francfort, 23 septembre 1774
Lotte,
Tu sentiras peut-être en le lisant combien j’aime ce petit livre, et cet exemplaire m’est aussi cher que s’il n’en existait pas d’autres. Il est pour toi, Lotte, je lui ai donné cent baisers, je l’ai gardé sous clé afin que nul ne le touche. Ô Lotte! – Et, s’il te plaît, ne le montre à personne [...], il ne sortira qu’au moment de la foire de Leipzig. J’aimerais que chacun de vous le lise seul.
Toi, seule, Kestner, seul, et que vous m’écriviez chacun un petit mot à son sujet.
Adieu, Lotte.