‘‘Il y a quelques années, en me promenant dans les alentours de Grenade, j’ai entendu une femme du peuple chanter pendant qu’elle faisait dormir son enfant. J’avais remarqué depuis toujours l’extrême tristesse des berceuses de notre pays, mais jamais comme alors je n’ai senti aussi concrètement cette vérité.’’
Personne n’oublie la douceur des berceuses de son enfance... Mais dans cette conférence donnée en 1928, le poète espagnol fait entendre de tout autres chansons.
Les mélodies qui endorment les chérubins espagnols depuis leur plus jeune âge sont, à l’inverse des berceuses européennes, emplies d’une profonde tristesse et d’une splendide mélancolie. Pour les faire entrer dans la cruelle réalité, les mères apaisent par la mélodie et les paroles, révèlent à leurs niños les douleurs et les drames de leur monde. Loin de leur faire croire à une existence parfaite, les mères préviennent les petits de la dureté de la vie qui les attend et des malheurs qu’ils rencontreront.
García Lorca nous fait entendre les chansons fredonnées par les mères aux quatre coins de son pays : le chant de la femme adultère qui envoie un message à son amant, la paysanne qui pleure son malheur de ne pouvoir subvenir aux besoins du nouveau-né à qui elle chante son amour mais aussi son mal de vivre, sa rancœur. De quoi calmer n’importe quel petit monstre récalcitrant.
Être bercé, ce serait donc apprendre à vivre ? García Lorca nous soumet à ce rite à la lisière des rêves et nous entraîne dans une Espagne à l’image de sa verve visionnaire et poétique : aride, excessive et ardente.