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« Et si on faisait un EP ensemble ? ». En 2018, Miscellaneous, au détour d’une dédicace, lance cette invitation à Degiheugi. Six ans plus tard, le MC et le beatmaker concrétisent ce projet sous la forme d’un album intitulé « Everything’s Fine », dont leurs précédentes collaborations, laissaient présager le potentiel.
Au départ, une envie : revenir à l’essentiel, faire simple et brut, en un mot : authentique. Un beatmaker = un sampler, un MC = un micro. Rien de plus ! La formule s’avère féconde : les idées fusent, se croisent, s’enrichissent dans un ping-pong créatif fluide et prolifique. Ce disque, ses deux créateurs confient avoir pris beaucoup de plaisir à le concevoir, et cela s’entend ! Le son est ample et chaleureux, les beats tonitruants et l’orfèvre du sampling, Degiheugi, avec son savoir-faire inimitable, a taillé chaque titre tel un joyau serti de mille détails : samples vocaux vibrants, cuivres tout droit sortis d’un club de jazz enfumé ou guitares blues rugueuses.
Après « Degiheugi Orchestra », projet qui lui a permis de réaliser un rêve - revisiter sa musique puissamment cinématographique avec un orchestre classique - ce retour aux sources est un véritable bain de jouvence pour le beatmaker. Est-ce un tropisme hérité de sa récente aventure symphonique ? Cette nouvelle galette est truffée de violons, violoncelles et autres cordes, que le producteur orchestre avec maestria : mélodies obsédantes mais jamais répétitives, viole mongole hypnotique sur « Sunshine Distributor », élégantes envolées de violons sur « Stay in Your Lane Part. II », l’un des sommets de ce disque, ou tournerie baroque au groove aussi improbable qu’irrésistible sur le génial « Medieval » (avec les excellents A.S.M. en featuring), nouveau point culminant de cet album qui en compte de nombreux autres.
Narratives sans être linéaires, les prods de Degiheugi sont autant d’écrins sur lesquels Miscellaneous a pu déployer toute l’étendue de son talent lyrical. Affûté par les trois EP publiés cette année avec son duo Chill Bump, le rappeur anglophone est au sommet de son art, bluffant par sa dextérité vocale, la musicalité et la diversité de son flow, capable d’enchaîner un phrasé smooth façon west coast avec le débit granuleux d’un tough guy tatoué. Passé par des groupes de rock ou d’afrobeat, le MC tourangeau partage avec son compère beatmaker un goût assumé pour le brouillage de frontières, louvoyant tous deux entre hip-hop, jazz, drum’n’bass, électro ou dub. Le tout sans jamais diluer leur cohérence et la singularité de leur identité artistique.
Une cohérence qu’affirment aussi les textes de cet album, dont le titre dit toute la dualité, oscillant entre désillusion et espoir, gravité et légèreté. « Everything’s Fine ». L’affirmation est cruellement ironique, alors que notre monde s’effondre et que l’on regarde ailleurs. Certains titres dressent ainsi une analyse critique de la façon dont nous vivons, consommons et détruisons notre planète. Tandis qu’en miroir, des morceaux plus légers et hédonistes nous invitent à savoir profiter de tous les plaisirs que nous offrent la vie. A commencer par ce disque intense et percutant.