Il y a 45 ans, Guy Cabay enregistrait deux albums extraordinaires, chantés en wallon de Liège. Introuvables depuis cette date.
«C’est la pesanteur qui nous tue. C’est peut-être ça, le sens de la Chute d’Adam. Nous sommes condamnés à être la pomme de Newton, pas le ballon emporté par le vent. Mais il arrive pourtant que, par la grâce de la musique en particulier, nous échappions à la gravité, que le temps échappe au temps, qu’un autre souffle gonfle nos poumons, tellement plus léger que celui qui nous asphyxie d’ordinaire.
On ne prend pas la musique légère au sérieux, et c’est tant mieux. Seule la musique sérieuse mérite qu’on la traite aussi mal. Celle de Guy Cabay, elle, ruisselle d’une source plus pure et nous parle d’une voix plus tendre. On peut évidemment la décrire comme on étiquette les produits d’exportation. Origine: Belgique. Ingrédients: jazz, bossa nova, tropicalisme, chanson – les proportions peuvent varier. Valeur calorifique: néant. Produit non périssable. Mais ceci en dirait autant sur ce que cette musique est vraiment que si, voulant évoquer ce qu’inspire le bleu embrouillardé d’un ciel normand, on relevait les variations du pourcentage d’humidité dans l’atmosphère à Etretat et faisait un savant exposé sur les lois de la réfraction.
Guy Cabay est bien passé par le Brésil et y habite encore un peu, un Brésil qui n’est pas celui des cartographes ou des agences de voyage, un Brésil qui est aussi réel que le Far West dans lequel vivaient les enfants lecteurs de Fenimore Cooper, aussi flou et limpide qu’un rêve. Ce n’est pas l’Amazone qui coule dans ce Brésil-là, mais l’Ourthe, affluent de la Meuse, ce qui le rend plus familier, plus étrange et encore plus poétique. Se laisser baigner dans ce bonheur mélancolique, se laisser porter par ce fleuve est doux, doux comme les consonnes fluides de la langue wallone, ce ‘d’ qui devient ‘dj’ dans sa bouche, comme en Portuguais, d’ailleurs.
Savoir faire naître des mélodies qui tiennent sur une note comme la samba de Jobim, comme un fildefériste au-dessus d’une cascade d’accords, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un don. Savoir en denteller d’autres sur des dizaines de points, comme sur Tot a-fet rote cou d’zeur cou d’zos, poignante rencontre entre Randy Newman et Robert Wyatt, c’en est un autre. Ce ne sont pas les seuls que les fées offrirent à Guy Cabay et que, par un presque miracle, il nous offre à nouveau aujourd’hui. Haut les coeurs.» (Louis Philippe )